Télé-migration : à la croisée des chemins entre travail hybride et délocalisation

La crise du covid a permis de grandes avancées dans le domaine du travail à distance. La crise sanitaire et les confinements successifs ont permis de démocratiser cette pratique. Les employeurs ont découvert que de nombreux emplois ne nécessitent pas obligatoirement et continuellement la présence du salarié au bureau. Cette situation entraine l’apparition d’un phénomène nouveau, la télé-migration menant au risque de délocalisation.

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Vous avez dit télé-migration ?

On parle de la télé-migration lorsqu’un salarié vit dans un pays autre que celui dans lequel se situe l’entreprise qui l’emploie. Ainsi, il effectue son activité uniquement à distance.

Ce terme a été créé par l’économiste Richard Baldwin en 2019 à la suite de ses travaux sur la mondialisation 4.0. « La télé-migration se présente comme l’avenir du travail » dit-il.

Le télétravail fait de plus en plus l’objet d’articles dans la presse quotidienne, notamment le Nouvel Obs  (Baptiste Legrand, 2021) ou la Tribune (Fanny Guinochet, 2021). En France, la généralisation du télétravail ainsi que ces articles nous poussent à nous interroger sur la nécessité de maintenir certains emplois dans le pays.

En effet comme le dit le journaliste Guillaume de Calignon, « si un emploi n'exige pas que le salarié soit présent dans les bureaux de son entreprise située à la bourse du travail à Lyon, et que les tâches peuvent être effectuées depuis un petit village de Provence, pourquoi ne pourraient-elles pas l'être depuis Casablanca ou Bangkok » ?

On pourrait assister à une vague de délocalisation massive des fonctions supports et notamment RH (Service mobilité, gestion des talents, gestion de la paie et des rémunérations, Comp & Ben …). La crainte est de voir les entreprises déplacer les emplois au Kenya, au Nigéria ou au Sénégal.

Cette éventualité crée une angoisse chez les décideurs, comme le témoigne l’étude d’impact commandée par le Sénat en 2021. 

Une opportunité impactant l’entreprise

Le télétravail pourrait permettre aux entreprises de réduire leurs coûts. Cette réduction se ferait en employant les collaborateurs dans des pays à bas revenus. Les entreprises feraient ainsi une économie liée aux salaires.
D’autre part, le fait de contracter avec des salariés à l’étranger permettrait de faire des économies sur les autres charges fixes. La construction ou location de locaux serait réduite, leur entretien également.  

Selon le cabinet Major, spécialisé en intelligence économique, l’entreprise Dell aurait économisé 12 millions de dollars par an grâce au télétravail. Cela représente tout de même 25% de sa masse salariale. « En France, l’ARSEG évaluait en 2019 à 13 566 euros le coût annuel d’un poste de travail. Forcément, une réduction des mètres carrés entraine des économies au niveau des dépenses courantes comme le chauffage ou l’électricité́ et même les capsules de café́ ».

Toutefois, se priver de talents français pourrait être une perte de valeur pour les entreprises. La France est reconnue, entre autres, pour la qualité de sa formation. On note ainsi, la présence de plusieurs universités françaises dans le classement de Shangaï et le classement QS des meilleures universités du monde. Les compagnies françaises devraient ainsi se priver de talents formés dans de grandes écoles. Cette situation est d’autant plus vraie dans un contexte de guerre des talents entre les employeurs.

Cette approche est néanmoins nuançable car l’évolution de la qualité des enseignements dans les pays à revenus plus faibles n’est pas à négliger. En effet, beaucoup de Grandes écoles Françaises (ESSEC, KEDGE, …), s’installent désormais dans des pays aux revenus plus modestes. Les méthodes d’enseignement sont les mêmes que celles appliquées en France. En ce sens, les jeunes diplômés disposent des mêmes compétences. Le seul point de divergence en sortie d’études est la prétention salariale, moins élevée.

Pour autant, dire que la télé-migration est l’avenir du travail n’implique pas que tous les collaborateurs se trouveront dans des environnements ou pays différents. Cela voudrait simplement dire que les rencontres au sein des locaux seraient moins régulières, et que les entreprises intègreront bien plus de diversité culturelle.

Une conduite du changement menée par les RH

Il appartient aux RH de se former pour mieux accompagner cette évolution. Freiner cette évolution en mettant en place des règles strictes et rigides ne fait que retarder le phénomène. Certains pays l’ont bien compris et mettent en place différents dispositifs pour attirer les télétravailleurs. Une liste des destinations les plus prisées nous a été fournie par le site Etiavisas. Parmi celles-ci : la Grèce, l’Estonie, le Portugal, l’Australie, les Seychelles ou encore les Bahamas.

Il apparait nécessaire de développer les softskills afin d’accompagner au mieux l’évolution du marché du travail.

Pour la chercheuse Stephanie Chasserio, « le management multiculturel est une compétence nécessaire pour mener avec succès l’intégration de la télé-migration. Il permet de prendre en compte l’aspect multiculturel qui est nécessaire à la coordination et à la bonne conduite d’une mission ».

Aussi, l’intelligence émotionnelle définie par la psychologue Gaëlle Blanchard-Leclère comme étant " La capacité à percevoir l’émotion, à l’intégrer pour faciliter la pensée, à comprendre les émotions et les maitriser afin de favoriser l’épanouissement personnel " fait partie des compétences les plus prisées.

Si la télé-migration se présente comme l’avenir du travail, comment envisager ce travail ?

Après avoir analysé plus de 40 accords télétravail, l’ANACT (Agence Nationale pour l’Amélioration des Conditions de Travail) certifie que la majorité des entreprises optent pour deux jours de télétravail par semaine. Ce cadre nous parait encore trop rigide. Rappelons que ces résultats traduisent la volonté de maintenir un lien entre les équipes. Il serait alors beaucoup plus agile dans les accords de fixer des forfaits télétravail par mois et/ou par trimestre.   
En complément nous proposons l’instauration de rencontres d’entreprises semestrielles (Team Building). Ces deux outils combinés seraient le moyen de garder un lien entre les salariés d’une même société. Il faut s’inscrire dans l’histoire et l’évolution de la fonction RH.

Un impact fort sur les emplois

Les entreprises ont de plus en plus conscience de leur responsabilité sociétale. La télé-migration n’aboutirait pas à une délocalisation. La télé-migration est l’avenir du travail. Toutefois, il s’agit plutôt d’une migration à l’intérieur d’un même pays ou espace comme le donne à voir la liste des pays qui attirent le plus les télétravailleurs.  Un salarié d’une entreprise Parisienne qui s’installe à Barcelone ou encore un salarié de Genève qui s’installe à Porto. Nous n’assisterons donc pas à une délocalisation de masse comme cela a été le cas avec les industries.

Toutefois cela pourrait limiter la quantité des recrutements. En effet, comme le pense BALDWIN, « quand il s’agira de réengager du personnel, les compagnies vont assurément penser qu’elles peuvent avoir une partie de ces compétences meilleur marché à l’étranger ».

Cette situation demande beaucoup de flexibilité et de créativité aux RH. De nouvelles compétences sont nécessaires pour la prise en compte et la prévention de nouveaux risques psycho-sociaux. L’INRS nous fait part de l’augmentation de la charge de travail, du non-respect du droit à la déconnexion, du stress lié au management.

L’enjeu essentiel pour le RH de demain est de faciliter le maintien de la productivité, tout en conservant l’épanouissement et la motivation du salarié. Cela ne semble pas corrélé à la problématique du lieu de travail. Finalement, la généralisation du télétravail est elle une bonne ou une mauvaise nouvelle pour le monde du travail

Georges ALAKPA


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